Le cycle de vie des libellules est intimement lié à la présence et à la qualité de l’eau, indispensables pour le développement de leurs larves et leur métamorphose en adultes (imagos). Certaines espèces ubiquistes peuvent se développer dans une grande diversité de milieux aquatiques. D’autres, au contraire, sont spécialistes de certains milieux. C’est notamment le cas des espèces tyrphobiontes, c’est-à-dire inféodées aux tourbières, milieux en forte régression en France. Le réchauffe-ment climatique et les épisodes de sécheresses récurrentes pourraient amplifier cette régression, menaçant ainsi les libellules et les autres cortèges d’espèces liées à ces milieux. Les tourbières vosgiennes, encore nombreuses et pour certaines bien conservées, accueillent plusieurs espèces de libellules tyrphobiontes, mais également des espèces ubiquistes. Ces sites sont en majorité protégés par les statuts de réserve naturelle nationale ou régionale, mais aussi de sites Natura 2000, et sont gérées par le Parc naturel régional des Ballons des Vosges, le Conservatoire d’espaces naturels (CEN) de Lorraine et l’Office national des forêts (ONF). Les imagos peuvent parcourir de longues distances par le vol et être observés loin de leurs habitats préférentiels. Ce n’est pas le cas des exuvies (mues issues des larves), dont la présence atteste d’une reproduction de l’espèce correspondante sur le site où elles sont trouvées. Les stades larvaires sont étroitement dépendants des conditions environnementales de leur milieu de vie : température de l’eau et de l’air, période de gel, proies disponibles, etc. Des changements de ces facteurs pourraient ainsi avoir des impacts forts sur l’occupation des tourbières par les espèces de libellules les plus sensibles à ces facteurs. Les objectifs de cette étude sont : 1) de développer un protocole permettant d’établir un état initial puis de suivre l’évolution de l’occupation spatiale des libellules à partir de la recherche d’exuvies et 2) d’identifier les facteurs potentiels à l’origine d’éventuelles évolutions du cortège dans le futur. Pour cela, nous avons mobilisé une méthode d’analyse en site-occupancy, qui permet d’estimer conjointement la probabilité d’occupation et la probabilité de détection. Cette méthode permet ainsi de prendre en compte la détection imparfaite des exuvies. Une étude-pilote, menée en 2021, a permis dans un premier temps de déterminer les variations d’occupation spatiales de différentes espèces de libellules au sein de 237 placettes circulaires de 2,5 m de rayon, disposées dans les habitats tourbeux de trois réserves naturelles. Nous avons ainsi montré que les probabilités d’occupation et de détection moyennes des espèces tyrphobiontes au sein des placettes étaient près de deux fois supérieures à celles des espèces généralistes. Selon les groupes d’espèces, les probabilités de détection estimées variaient selon la période et le recouvrement en eau. Les probabilités d’occupation quant à elles variaient selon les typologies d’habitats. Sur la base des résultats produits lors de cette étude-pilote, un état initial a été lancé en 2022 et en 2023 sur 239 placettes au sein de ces trois réserves naturelles. Ce protocole sera reconduit sur le moyen et long terme pour caractériser les changements d’occupation des tourbières par les libellules tyrphobiontes et ubiquistes. Ce document justifie les choix méthodologiques réalisés et propose un cadre pour le recueil, le stockage et l’analyse des données. Il fixe également les moyens logistiques nécessaires à la mise en œuvre du protocole proposé. L’ensemble de ces informations garantit la pérennité de l’étude sur le long terme. L’élaboration de ce protocole s’inscrit dans le cadre d’une coopération entre l’Office Français de la Biodiversité et le Centre d’Écologie Fonctionnelle et Évolutive. Cette coopération lancée en 2018 vise à mettre en place un appui méthodologique et statistique pour un transfert continu de compétences, de savoirs, de méthodes, vers les gestionnaires d’aires protégées.